Lorsque les futurs acteurs importants du monde de la Low-Tech ont commencé à tracer les contours de cette philosophie, et avant de les mettre en pratique, ils ont défini 3 pilliers permettant de résumer l'esprit Low-Tech: ce sont des technologies Accessible, Durables, et Utiles.

Mais en réalité, et c'est là la force du concept, c'est que ces trois pilliers résument un ensemble de règles et de concepts qui, utilisés ensemble, forment une vision de l'appropriation technologique très différente de celle des technologies actuelles.

Ce que cachent les 3 pilliers

1. Accessibilité

Les Low-Tech se veulent accessibles à plusieurs niveaux : d'une part elles doivent être facilement reproductibles par quasiment tout un chacun, et d'autre part tout le monde doit pouvoir comprendre, s'approprier une technologie pour l'adapter à ses besoins. Dans ce but, les objets réalisés et les étapes de leur création doivent être partagées, toute expérience et amélioration est bonne à prendre, tout comme il est important d'expliquer les principes physiques derrière le fonctionnement de ces objets. C'est donc à la fois les concepts d'open-source et de libre, comme l'ont été en premier lieu les logiciels, et le concept de documentation détaillée et librement partagée, qui sont utilisés. Pour être accessible, il est aussi nécessaire d'amener une explication la plus simple et complète possible pour tout le monde; c'est donc, à mon sens, un besoin de sensibilisation et d'éducation qui sont nécessaire, d'une part, mais aussi une nécessité d'expliquer simplement les principes physiques, la logique de construction et les méthodes de fabrication. Chaque personne doit donc faire un effort pour aller vers l'autre: c'est un défi de compréhension pour les personnes peu instruites sur le sujet de la technologie, mais aussi un défi pour décrocher ledit sujet des sphères des "sachants" pour le porter à la compréhension de chacun. Je ne demande évidemment pas aux ingénieurs, spécialistes et experts d'un sujet de systématiquement simplifier leur sujet de recherche, puisque d'autres spécialistes peuvent comprendre (et surtout affiner et compléter) les connaissances, mais plutôt de l'adapter au public visé, tout en facilitant l'accès aux connaissances. Dans ce même pillier, les low-tech privilégient l'utilisation de matières et objets recyclés, pour en faire un objet différent ou pour être utilisé dans un objet différent, mais aussi les petits prix pour pouvoir s'adapter aux bourses les plus démunies. C'est malheureusement ce qui vaut aux réalisations low-tech d'être traitées de "bricolage": l'aspect visuel, l'efficacité, bien que souvent au rendez-vous, ne sont pas toujours optimisés, d'où cette impression de "fait à la va-vite", "pas bien étudié" ou de "fait uniquement avec les moyens du bord". L'objectif de la low-tech, à mon sens, est d'une part de rendre acceptable ces aspects, mais aussi de rendre les objets créés plus efficaces, plus beaux visuellement, etc.

2. Durabilité

La durabilité est souvent remplacée dans certains articles par le terme "Réparabilité", et il est vrai que ce terme est très efficace pour rompre avec la culture du tout-jetable (durée de vie pensée pour être courte voire ultra-courte) et du "ça marche pas -> poubelle" (alors que peut-être seulement un module voire juste un composant qui est défectueux); cependant, la durabilité englobe encore plus de choses que la réparabilité au sens large, et notamment... le fait que les objets technologiques développés traversent le temps sans se dégrader. Il ne se vend plus, aujourd'hui, de draps pouvant être utilisés pendant 150 à 200 ans, et pourtant de tels objets ont déjà existé. La durabilité est aussi énergétique, et c'est meme un aspect très important de mon point de vue. Deux objets équivalents dans leur utilisation, mais l'un 10 à 20 fois plus puissant et utilisant beaucoup plus d'énergie que l'autre, nécessitera une remise en question, notamment du point de vue de la résilience de l'objet et des personnes qui l'utilisent. Dans un contexte d'autonomie énergétique ou de déstabilisation des flux énergétiques à grande échelle, un ordinateur de 500W aura beaucoup plus de mal à être alimenté, et sera donc beaucoup moins utilisé, qu'un RaspberryPi à 5W (pour deux utilisations similaires bien entendu).

3. Utilité

Il est bien beau de créer un objet technologique et de créer le besoin lié à cet objet, s'il n'a pas réellement d'utilité sur le temps long, pourquoi le créer? Ou plutôt, lorsque le temps nous sera limité ainsi que les ressources et la disponibilité de tel ou tel produit, pourrons-nous utiliser l'objet technologique en question; saurons-nous nous débrouiller pour qu'il remplisse sa fonction en considérant que certains intrants nécessaires à son fonctionnement ne sont plus disponibles ? Et au-delà de ça, que devons-nous privilégier technologiquement face aux enjeux climatiques, sociaux, énergétiques, financiers, présents et à venir? Voilà à quelles questions répondent les technologies utiles; et c'est évidemment une question bien plus complexe qu'elle n'en a l'air, d'où peut-être un prochain billet uniquement sur cette question...

4. Accessibilité et Durabilité

Pour être à la fois accessible et durable, l'objet créé doit être suffisemment simple et robuste pour y répondre. Ainsi, les concepts de modularité, mais aussi de localisation sont très importants. La modularité permet de remplacer plus facilement et avec moins de connaissances nécessaires un objet ou un composant dans un système; c'est aussi une histoire de flux: un poêle ne pouvant brûler des résineux ne pourra pas être utilisé dans une région ayant plus de sapins que de d'arbres feuillus; dans les régions exemptes d'un certain type de matériau, il sera beaucoup plus difficile de remplacer facilement un objet ayant nécessairement besoin dudit matériau. C'est donc l'adaptabilité, au milieu et au niveau de connaissances, qui est en jeu.

5. Durabilité et Utilité

La durabilité et l'utilité, couplé à des objectifs de faible consommation ou d'émissions, amène la sobriété et la notion de besoin essentiel: on axe le peu d'énergie disponible dans des objets répondant à un besoin non remplaceable et non supprimable, tout en délaissant les désirs et objets non essentiels. Ces deux pilliers amènent aussi la notion d'optimisation, le plus souvent pour répondre à l'objectif de résilience vis-à-vis du système en place, que ce soit d'un point de vue écologique, ou pour créer un impact social positif.

6. Les 3 pilliers

De mon point de vue, les 3 pilliers pris en même temps, et tout ce qu'ils représentent, représentent un enjeu stratégique, pris à différentes échelles: l'échelle locale bien évidemment, pour s'adapter aux personnes, aux besoins et aux ressources, mais aussi à l'échelle plus globale (régionale, nationale ou transnationale). La Low-Tech est donc un enjeu, à la fois politique, technique, et la société doit s'emparer du sujet.